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Compte-rendu de la commission RR du 13 juillet 2021
Membres : Catherine de Rosnay, Nassima Sadar, Virginie Lauret, Pierre-Henri Pontac, Grégory Martin, Lionel Magisson, Jacques Rombi, Pierre Egot , Michel Cordani et Amaury Halgand
Invités : Luvna Arnassalon (sustainability IBL), Mathieu Ecoiffier (DG Trésor, Nairobi), Aimée Andrianasolo (présidente de l’Office de Régulation de l’Electricité de Madagascar)
Intervenants : Jean-Luc Wilain, Nicolas Meisel, Fabrice Le Saché, Benoît Régnard, Alexandra Mannai
Prochaine réunion : 14 septembre
Thème dans le cadre des travaux en cours : La finance carbone : enjeux, réalités locales et opportunités.
Qu’est-ce que la « finance carbone » ? Quel est le cadre international et comment cela fonctionne-t-il en Europe ? Est-ce que ça fonctionne dans l’OI et quels outils sont accessibles aux acteurs locaux ? Quelles opportunités pour les entreprises et les gouvernements ?
Nous espérons que notre réunion permettra d’identifier des projets qui contribueront au renforcement des liens entre les acteurs publics et privés des territoires, et au développement durable de notre région.
La finance carbone
Jean-Luc Wilain, consultant, Will Change
Pourquoi le carbone ? La combustion des énergies fossiles dégage du C02, qui réchauffe la planète par effet de serre. La situation et les tendances sont alarmantes. Il faut réduire diviser par 4 les émissions d’ici 2050 (revenir au niveau d’émission de 1970).
La comptabilité est un levier d’action puissant, parce qu’il consigne ce qui est jugé important pour l’économie d’une communauté.
Compétences clés : chimie, logistique, contrôle de gestion. On considère 3 « scopes » (1 : émissions directement liées aux activités de production ; 2 : émis par la consommation d’énergie ; 3 : émis par les consommations indirectes en amont et en aval de l’activité de l’entreprise)
On peut mettre en œuvre des techniques qui absorbent du CO2. D’où le principe des échanges de quotas, ceux qui absorbent peuvent compenser les émissions des autres. Il y a des opérateurs intermédiaires (compensateurs, courtiers, auditeurs, agences de notation, …) et les mécanismes ont besoin d’une certaine taille critique.
Les états mettent en place des « taxes carbone » (mais le budget 2021 de Maurice n’en a pas mis en place).
Les solutions de financement sont de plus en plus nombreuses (ex. Sunref à Maurice).
Cycle vertueux de la « finance carbone » : comptabilité > compensation > taxation > financement.
Quelles options pour les politiques publiques ?
Nicolas Meisel, économiste, AFD
AFD premier bailleur à se caler sur l’accord de Paris dès 2017 : l’intégralité des projets sont alignés sur la trajectoire à 2°C et cohérents avec une trajectoire bas carbone et résiliente. Travail couplé aux actions de protection de la biodiversité.
Les outils actuels de la comptabilité ne prennent pas du tout en compte l’environnement et le vivant. Les modèles macro-économiques sont des modèles de flux avec des ressources supposées infinies… Les modèles alternatifs qui prennent en compte les stocks de ressources et les limites écologiques restent marginaux.
L’horizon de temps est très proche : 2050 – 2070. Il faut réduire de 5% par an les émissions pendant 30 à 40 ans (5% = impact covid 2020). Les efforts actuels restent insignifiants à l’échelle macro et la plupart des pays sont enfermés dans un système incompatible avec un monde bas carbone et résilient.
La finance carbone a été conçue pour éviter les contraintes fortes et les taxes, pas pour engager une transition. Elle n’a pas fait ses preuves à l’échelle macro. Il va sans doute falloir se tourner vers des solutions plus radicales (quotas, taxes, budgets d’investissement ad hoc, plafonds d’émission décroissants et arrêt des distributions gratuites de quotas sur les marchés carbone, périmètres élargis de comptabilité, redistribution et compensations, arrêt des subventions des énergies fossiles normes climatiques contraignantes sur les échanges, …).
On va rapidement atteindre des seuils qui vont faire augmenter très fortement les prix de l’externalité carbone. La réforme du marché carbone européen, son extension aux carburants et au chauffage pour contribuer à l’objectif de réduction de 55% des émissions est un pas dans le bon sens, si elle est accompagnée de transferts en direction des ménages moins aisés, d’un plan de transition et d’une politique industrielle. La loi Energie climat française envoie également un signal fort en direction du monde financier. La pression va s’accentuer. A l’échelle de l’océan Indien, une démarche volontaire aboutissant à une labellisation des entreprises engagées pourrait être imaginée, afin d’envoyer un signal et de faciliter leur financement par les investisseurs privés comme par les banques.
La finance carbone à l’œuvre en France et dans l’Océan Indien
Fabrice Le Saché, Président-fondateur, AREA, Vice-Président du Medef
AERA : Négoce d’instruments crédits carbones, certificats divers. Tous ces instruments de la « finance verte » ont pour but d’inciter les acteurs à agir dans un sens qui va vers le but de l’accord de Paris. 12 salariés, CA 15 M€ en progression prix et volume.
Types de projets dans la région OI : Centrales solaires, hydroélectriques, … Ex. pour Madagascar, un projet a reçu 2 M$ (AERA au global a pu distribuer 20 M€ ; ce qui correspond par coïncidence à un peu plus de la valeur des émissions de Maurice.
Les accords internationaux s’imposent aux pays (typiquement les mécanismes d’ajustement fiscaux « carbone aux frontières », pour tenir compte du prix du carbone élevé en Europe ; potentiellement très risqué pour les industriels européens vs chinois et impact social à prendre en compte cf. Gilets Jaunes).
Les sujets sont politiques (ex. prise en compte ou pas du nucléaire).
Les organismes de certification sont très nombreux et variés. Quelle crédibilité ? Transparence ? Pertinence ? Les organismes de référence sont finalement peu nombreux.
Les prix restent faibles vs les ambitions (30€ à 100€, 1000€ sur des technologies pointues), mais ont doublé (3 à 4€ aujourd’hui). L’impact en Afrique sur la rentabilité des projets est significatif à partir de 5€.
C’est difficile d’atteindre la taille critique et c’est très coûteux et long actuellement. Pour les plus petits projets d’électricité renouvelable raccordés au réseau, le standard « iREC » permet de valoriser l’origine renouvelable de l’énergie produite plus rapidement et à moindre coût.
Témoignage d’entreprise. La mobilisation de crédits carbones pour la centrale d’Ambatolampy (Madagascar)
Benoît Régnard - Business Development Director, Green Yellow Indian Ocean
Alexandra MANNAI - CSR Director & Chief Transformation Officer, Green Yellow Indian Ocean
La trajectoire recherchée est le « net zéro » (émissions et absorptions se compensent). Green Yellow est leader international des installations solaires décentralisées. Les valeurs des mix électriques varient dans un facteur de 1 à 8 entre certains pays (ex. France 0,056 tCO2e/MWh vs Afrique du Sud plus de 1tCO2e/MWh), entrainant un bénéfice plus ou moins grand des installations solaires. Chez Green Yellow, installer une centrale “coûte” en moyenne 0,030 tCO2e/MWh.
GY privilégie les labels reconnus dont ceux du Mécanisme de Développement Propre (MDP) de l’ONU, le Gold Standard, ou Verra-VCS. La certification est un processus long et précis, qui dure environ 18 mois et coûte en moyenne 50 k€ (hors frais d’audits). Les crédits carbones se vendent actuellement sur le marché volontaire autour de 3-4 $/tCO2 : GY a donc décidé de ne mettre en place ces certifications que pour des projets de plus de 15 MW.
Deux exemples :
- Ferme solaire Madagascar (Ambatolampy) : 20 MW, connectée au réseau Jirama en 2018, projet qui associe les agriculteurs locaux pour l’entretien de la ferme (solaire). Le pays s’est fixé un objectif de 80% d’énergie renouvelable.
- Maurice : centrale Solitude, 20 ha, 10 employés, 16 MW (10000 ménages).
L’impact sur le coût global des projets reste marginal, et les frais de certification absorbent 2 à 3 ans de la valeur générée par la commercialisation des crédits carbones. Si la valeur de la tonne de carbone augmentait, cela permettrait d’une part : de certifier des projets plus petits, et d’autres parts de reconnaitre des bénéfices plus tôt.
Les autres types de “certificats” :
- CEE « certificats d’économies d’énergie » : machinerie de subvention française qui cible des actions spécifiques (isolation, pompes à chaleur).
- Certificats de traçabilité de l’énergie renouvelable : garantit l’origine de l’énergie en Europe.
Interventions
Actualité Réunion (Grégory Martin) : Election de Mme Huguette Bello (union de la gauche) au Conseil Régional de la Réunion. Couvre-feu annoncé, voyages possibles vers Maurice avec conditions.
Cap Business Océan Indien demande comment accompagner les entreprises du secteur dans une stratégie « bas carbone » ? Sensibilisation des opérateurs privés ? Renforcement de l’expertise technique disponible dans la région ? Cofinancement de bilans carbone réalisé par les entreprises de la région ?
Question et proposition (Michel Cordani) : Comment mettre en œuvre concrètement les approches présentées par les experts en finance carbone ? Nicolas et Fabrice pourraient réfléchir à une approche systémique qui consisterait à appliquer une réduction d’échelle des projets d’une part, et une mutualisation à l’échelle de la région OI d’autre part, pour que ça reste viable économiquement et attractif pour les acteurs d’envergure internationale. L’objectif pourrait être de lancer une dizaine de projets dans l’OI, en considérant simultanément :
- la réduction d’échelle du processus de certification/labellisation (extrêmement lourd)
- proposer un modèle « blue-print » de centrale électrique de type 25 MW aux acteurs locaux
- envisager une forme de mutualisation (coopérative ? instrument financier ?)
- canaliser les crédits d’acteurs européens (Total ?)
- promouvoir la région OI comme un bon « terrain de jeu » auprès des acteurs internationaux
- « embarquer » les grandes entreprises locales
Pièces jointes
- Extrait de l’intervention de Jean-Luc Wilai
- Présentation de Green Yellow
- Le plan climat proposé le 14 juillet par la Commission Européenne : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal/delivering-european-green-deal_fr, où on comprend pourquoi le prix du carbone va augmenter brutalement.
- Interview de Pascal Lamy à ce propos : (ex. directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce) https://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/audio/pascal-lamy-president-emerite-de-l-institut-jacques-delors-1407-696274.html, idem + il explique la tectonique des plaques industrielles et fiscales et annonce de très sérieuses secousses !
- Interview du président de GreenYellow : https://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/audio/otmane-hajji-president-de-greenyellow-1307-696130.html, où on apprend l’origine du nom de la société, son expansion, et qui mentionne les projets de la région OI.